III. Fonctions et mécanismes 31 La querelle des images |
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L’acharnement qui se développe actuellement contre le bonheur de la représentation nous a conduit à nous informer sur la querelle des images dans l’Empire byzantin. Quels furent les reproches adressés aux représentations ? Le soupçon qui mine l’illusion présente-t-il des parentés avec la crainte de l’idolâtrie ? Quels furent les termes du débat dans l'Islam, le Judaïsme, le Protestantisme ? Est-ce que, en excluant les images, ces religions n’ont pas écarté la possibilité d’épancher de multiples composantes de la vie psychique ? Observés rétrospectivement, les saccages perpétrés par les iconoclastes dans l'empire chrétien d'orient pendant le haut Moyen Âge mettent à jour des poussées autodestructrices susceptibles de gagner la dimension d'une civilisation. Imaginer notre civilisation dépossédée de son art figuratif fait frémir. Ne serions-nous pas comme perdus dans un désert sans repères, incommunicable et désolé. Les conséquences à long terme d'une restriction aussi draconienne imposée à la vie de l’esprit ne pouvaient pas être mesurées dans toute leur portée par les partis engagés. Toutefois, il nous semble que le goût naturel pour les images anthropomorphes, le plaisir qu'elles procurent et l'aspiration à l'éternité ont joué un rôle déterminent dans l'issue positive de la querelle des images. Même si ils n'ont pas été exprimés. Et pour cause : le conflit pourrait être interprété comme une rivalité entre le désir d'art (voire plus généralement le désir d’expression) et la dévotion. Pour nombre de croyants, ces tendances furent incompatibles. L'Occident les a acceptées et a encouragé leur collaboration. Le déroulement de la crise peut-il nous apprendre quelque chose sur les difficultés actuelles ? Aujourd'hui il paraît évident que la représentation constitue un langage, il n'en a pas toujours été ainsi. Cette fonction n'était pas acquise en Europe au VIIIe siècle, ni ailleurs. Pour les musulmans, Dieu est le seul créateur, nul autre que Lui ne peut façonner des formes humaines. Les hindous réservent l'art aux dieux, le réalisme, trop imparfait, est rejeté. Les orthodoxes perçoivent dans les icônes une parcelle de divinité. Au Japon, les portraits de moines Zen sont investis d'un pouvoir spirituel et sont davantage vénérés que les Bouddha et les bodhisattvas. Comparée à l'art hindou qui néglige un peu les hommes, à l'art musulman où l'interdit est global puisqu’il concerne non seulement la représentation du sacré mais pèse également sur les images profanes, lesquelles, peu encouragées, devront observer naïveté et maladresse afin d'écarter tout soupçon de rivalité avec le Créateur, la solution préconisée dans l'empire d'Occident est d'une tolérance surprenante. A l’aube de leur histoire, les religions monothéistes ont éprouvé la même réticence à représenter leur Dieu sous la forme humaine. Soit elles sont intimidées, soit elles obéissent à l'interdit formulé contre les idoles qu'elles ne parviennent pas à distinguer des simples représentations. (Remarquons que les Grecs cultivés faisaient la différence entre l'idolâtrie et l'amour de l'art; Xénophane par exemple, déjà au VIe siècle, dissuadait la vénération des images.) Petit à petit, le temps éveille assurance et envie. Vers le début du IIIe siècle, nous voyons un agneau, un enfant, un bon pasteur remplacer les initiales et le triangle dans les catacombes romaines ; des personnages de la Bible ornent les sarcophages. En Inde, au Ier siècle avant J.-C., sur les portiques du stupa de Sânchî, le Bouddha est encore désigné par un fauteuil vide, on voit les fidèles se pencher devant la trace de ses pieds, des éléphants adorer l'arbre Bodhi, le figuier témoin de l'Illumination. En revanche dans le Gandhara l'impulsion grecque nous vaut la surprise de pouvoir apprécier le contraste entre le Bouddha émacié et un Bodhisattva souriant plus proche d'un élégant prince parthe que d'une incarnation sacrée. Dans l'empire chrétien l'usage des images sera plusieurs fois remis en cause. En effet, la nouvelle religion doit se démarquer de pratiques païennes romaines et orientales. C'est ainsi que Saint-Augustin se prononce contre les images. La représentation du Christ est l’objet d’un débat spécifique. Ceux qui lui sont favorables légitiment leur choix par l’Incarnation : Dieu ne peut pas être figuré, mais puisqu'il s'est incarné en Jésus, la nature humaine de celui-ci peut être représentée. Le Christ trônant apparaît en jeune garçon à Sainte-Marie Majeure au Ve siècle, en homme mûr à Ravenne au VIe siècle. Grégoire le Grand devine l’importance de l’image comme outil pédagogique et préconise l'illustration de la Bible sur les parois des églises. Son autorité n'empêche pas les destructions perpétrées avec l’accord de théologiens rigoureux, hostiles aussi bien à la médiation des icônes qu'à celle des saints. Byzance la première opte en faveur d'une figuration humaine de Jésus. « Au Synode de Quintisecte de 692, les Pères grecs de l'Eglise réunis à Constantinople ordonnent de remplacer les figures symboliques tel l'Agneau par celle du Seigneur 'selon son apparence humaine'. Obligation à laquelle le pape de Rome s'oppose, autant qu'à l'arrogance d'un Synode qu'il ne saurait reconnaître. » Commence alors à se greffer sur cette question des rivalités de pouvoir et des susceptibilités. La vénération des images va prendre des proportions inadmissibles dans la partie que l'on appellera plus tard l'Empire byzantin. Les icônes, auxquelles on prête des vertus bénéfiques et prophylactiques, sont exposées aux portes des villes assiégées, considérées comme des intercesseurs auprès de Dieu, désignées comme parrains des enfants, emportées en voyage comme amulettes. Certaines seront même créditées d'une origine surnaturelle. Des courants sont violemment hostiles à cette dérive. "Ces courants étaient surtout sensibles dans les régions orientales de l'empire, (...) où s'étaient maintenus des restes importants de monophysites et où se propageait de plus en plus la secte des Pauliciens. Mais il fallut le contact avec le monde arabe pour allumer l'incendie iconoclaste. (...) C'est en 726 que Léon III prend pour la première fois ouvertement position contre la vénération des images."[1] L'empereur Léon III était précisément originaire de ces provinces où certains interprétaient déjà les victoires des Arabes comme la récompense de leur stricte observance des interdits. De nombreux théologiens s'élèveront contre la décision; ni le patriarche de Constantinople, ni le pape ne l'approuvent. Les plaidoiries en faveur des icônes seront mêlées aux querelles christologiques, envenimées par des anathèmes. Le patriarche sera rapidement remplacé. La partie européenne de l'empire (principalement la Grèce actuelle), contrainte d'obtempérer, demeurera secrètement fidèle aux images. Quant à la réaction de Rome, elle reste modérée en raison de sa fragilité mais elle voit d'un mauvais œil l'annexion de la Calabre et de la Sicile placées toutes les deux sous la juridiction du nouveau patriarche de Constantinople acquis à Léon. Celui-ci récupérant encore les terres appartenant à Antioche, tombée sous domination arabe, on voit alors se confondre le domaine temporel et le domaine religieux, situation favorable à la mainmise de l'empereur sur les affaires religieuses. La bonne foi de l'empereur semble hors de doute, cependant, on ne peut méconnaître l'intérêt et le pouvoir qu'il gagne en menant cette réforme. En effet, "une autre raison a pu encore déterminer la politique iconoclaste de Léon III. Cet empereur (...) ne voyait pas sans alarme l'expansion du monachisme. Les biens-fonds des couvents, exonérés d'impôts, s'étendaient dangereusement au détriment de la petite propriété paysanne et du trésor impérial. En outre, par leur effort de recrutement de novices, les moines soustrayaient bon nombre d'hommes libres à leurs obligations de citoyens et de soldats."[2] En limitant les icônes qui étaient un moyen efficace de propagande pour les monastères, Léon réduisait considérablement leur pouvoir. Le fils et successeur de Léon III, Constantin V, qui ne cache guère ses préférences pour le monophysisme, poursuit la même politique avec une ardeur accrue. Sous son règne culminent les saccages, les exécutions, les tortures, les destructions de sculptures, de monuments et de manuscrits enluminés. Le décret du Concile de 745 mentionne "l'art maudit des peintres". La rivalité avec le pouvoir religieux et l'ambition personnelle de Constantin sautent aux yeux lorsque G. Ostrogorsky nous apprend que partout, à la place des images saintes, "des décorations à sujet végétal et animal, mais surtout des images de l'empereur, représentations, à sa gloire, de scènes de guerre et de chasse, de courses de char et de scènes de théâtre, allaient orner les églises aussi bien que les édifices profanes." La restauration solennelle du culte des images par Théodora en 843, après une deuxième vague iconoclaste entre 803 et 843 sous Léon l'Arménien et Théophylène, moins violente et guère soutenue par l'armée ni par les provinces orientales, est ressentie avec soulagement. Ostrogorski n'hésite pas à conclure : "La déroute du mouvement iconoclaste consacra la victoire de l'originalité religieuse et culturelle grecque sur l'esprit asiatique incarné dans l'iconoclasme. L'empire gréco-chrétien de Byzance affirmait maintenant aussi dans la culture sa place propre entre l'Orient et l'Occident." L'empire a retrouvé son âme. Les historiens s'accordent à reconnaître la compétence de Léon III, ce souverain est unanimement respecté. "Si l'on fait le bilan du mouvement iconoclaste, écrit Vassiliev, on peut arriver aux conclusions suivantes : le parti iconoclaste tira surtout ses forces de la cour et de l'armée (...). Les empereurs iconoclastes furent de bons généraux et de sages administrateurs, vainquirent les Arabes et les Bulgares, et l'on peut dire que quelques-uns d'entre eux sauvèrent le christianisme et la civilisation naissante. Mais ils ne persécutèrent pas les images par ambition et au nom de leurs visées politiques. Leurs mesures religieuses furent dictées plutôt par la conviction sincère qu'ils travaillaient à l'amélioration de l'Eglise et à la purification du christianisme."[3] Les Arabes et les Bulgares, ces deux puissances montantes retinrent leur attention et les détournèrent de l'Italie. Ce concours de circonstances allait à la fois préserver l'Occident de la politique iconoclaste et précipiter le schisme. Lorsque Ravenne tombe aux mains des Lombards en 750, Rome ne croit plus à la protection de l'Empereur. Le pape Etienne II réoriente ses alliances. Il se rend en personne auprès de Pépin le Bref en 754. Les discordances à propos du culte eurent-elles une incidence sur le schisme, ou étaient-elles le symptôme de différences culturelles plus vastes et la cristallisation d'intérêts politiques divergents ? Le schisme eut- il pu être évité ? Consommée en 1054, pour des raisons de souveraineté dans la nomination des évêques, la séparation entre l'église orthodoxe et l'église romaine fut fatale à l'Empire, déplore Vassiliev, car l'Occident ne vint pas au secours de Byzance lorsqu'elle fut submergée par la puissance turque. Le conflit n'a pas été sans répercussions en Europe. Lorsque Irène, veuve de Léon IV, restaura le culte des icônes au Concile de Nicée en 784, la définition de l'image restait ambiguë : "l'image est utile au salut car non seulement elle reproduit les traits d'un personnage sacré, mais elle retient en elle une parcelle de l'énergie divine et permet ainsi au fidèle d'établir un contact d'ordre intelligible avec celui qu'elle figure." De plus, le décret fait de la vénération des images un devoir pour le chrétien. Le texte recueille l'adhésion du pape Hadrien. Or l'Empereur d'Occident, pressé de se joindre aux signataires, demeure méfiant. Peu pressé d'entamer un programme artistique ruineux et convaincu que les fidèles ne feront pas la distinction entre vénération et adoration, Charlemagne fait rédiger les Livres carolins qui contiennent une analyse rationnelle de l'image et désapprouvent autant leur destruction que leur vénération. Ces Libri Caroli ayant été interprétés au cours de l’histoire en fonction d’idéologies partisanes, Jean Wirth dans son essai sur l'image médiévale [4] tient à en distinguer les mérites. Loin de polémiquer, le document selon lui est fort sage, nuancé et bien argumenté. Il relativise l'argument pédagogique de "l'écriture des illettrés". Persuadés qu'il est impossible d’empêcher qu'une peinture devienne objet d'adoration, les conseillers parisiens de l'Empereur s'attachent à la démystifier. Pourquoi en faire tant de cas, elle n'est pas fiable et même ambiguë, elle ne désigne pas clairement les choses; une femme peut aussi bien représenter Vénus que Marie. Bref, ils en relativisent le pouvoir et conscients malgré tout de leur utilité, prônant la raison et la modération, ils insistent, fait remarquable, sur la qualité des œuvres. L'effort est couronné de succès. Charlemagne convainc le pape Hadrien de signer l'édit élaboré au Concile qu'il réunit à Francfort en 794 : la neutralité de l'image y est cette fois clairement énoncée. Désormais, l'Occident est non seulement autorisé à illustrer les Ecritures mais aussi les commentaires, interprétations, démonstrations qui élargiront considérablement le domaine de l'art. La distinction entre les deux conceptions n’est pas sans conséquences. À Byzance l'icône accapare la prééminence aux dépens des compositions narratives. La sculpture en ronde bosse trop proche de la réalité est abandonnée quoique l'interdiction ne fasse pas l'objet d'un édit. Pour des raisons identiques le réalisme sera écarté au profit d’une stylisation magnifique. Si finalement l'image a été autorisée dans le nord, démontre Jean Wirth, c'est que l'argumentation des logiciens aurait fini par l’emporter : ils auraient jugé satisfaisante l'adéquation de l'image physique à la forme, un concept élaboré à la suite de Boèce et de Denis l'Aréopagite, pour définir le divin par rapport à la substance... Il est fort possible qu'une plaidoirie de type philosophique ait été nécessaire pour vaincre les résistances, en particulier celles de caractères puristes et méfiants. De tels personnages influents existaient dans l'Empire. Auraient-ils pu barrer la voie à la peinture sacrée ? L'un d'entre eux, l'évêque Claude de Turin, d’origine espagnole, nature autoritaire et abstraite, est responsable de destructions à la suite desquelles une polémique l'oppose à l'évêque Jonas d'Orléans vers 840. Tous deux sont opposés à l'idolâtrie, c'est leur caractère plus ou moins conciliant qui les sépare. Alors que Jonas croit nécessaire de proposer des symboles concrets à la vénération populaire, Claude s'insurge contre toute déviation de l'amour de Dieu. Ses invectives visent aussi bien l'effusion envers les saints et les pèlerinages que la vénération de la croix et des reliques, autant de rites jugés barbares. Devant son intransigeance, Jonas ne va-t-il pas jusqu'à accuser Claude, parce qu'il entend faire le vide autour du verbe, de prétendre s'ériger en seul médiateur ? Le retard pris par Charlemagne et ses conseillers pour donner une définition rationnelle à l'image peut être considéré comme une saine prudence; elle n'empêchera pas la dévotion de tourner bien souvent à l'idolâtrie et à la superstition. Quant à la parcimonie imposée au programme artistique dans l'empire carolingien jusqu'au XIe siècle, elle s'explique non par des querelles de doctrines mais par les priorités économiques. Nous devons en premier lieu l'élan de l'art occidental à sa mission pédagogique. Les preuves de réalisme, le souci d’éduquer en tenant compte des faiblesses de l’âme humaine, ne doivent cependant pas masquer des explications plus irrationnelles ou moins avouables qui agissent et agiront encore dans des proportions variables selon les individus et selon les époques, l’attrait de la séduction, les bénéfices de la propagande, l’ambition de laisser une trace, le projet de rivaliser avec les civilisations antérieures. La variété de l’art gréco-romain contenait d’une façon inhérente la souplesse de la conception de l’image. L’art romain plus ancré dans le quotidien que l’art grec, aurait-il favorisé dans l’ère occidentale le choix d’une solution plus pragmatique ? La question est traversée de tensions contradictoires, ces tensions vont continuer de le remettre en question. C'est parce que nous avons oublié la pauvreté de l'époque que l'art nous apparaît comme l'allié de la religion. En réalité nombre d'éléments les opposent. Le besoin de sobriété entre nécessairement en conflit avec le luxe que représente la décoration. Ce serait aussi méconnaître l'énergie nécessaire à la création que de la soumettre entièrement à la foi. Un refus du monde lie le moine et l'artiste, mais l'humilité recommandée par la Bible s'oppose à l'ambition du créateur. Ces aspirations sont antinomiques. Le saint est prêt à disparaître alors que créer est une affirmation de l'élan vital. L'aspiration au minimum, le désir de se dépouiller de l'accessoire manifestent des pressions autodestructrices. Le goût des formes et des images suppose l'acceptation d'une jouissance - fût-elle transposée. Des personnalités ascétiques ou humbles ont dû subir maints affronts lorsqu'elles se sont vu imposer le compromis proposé par l'art sacré. Prenons l'exemple de la cathédrale d'Assise. Du point de vue de l'art, elle représente une alliance merveilleuse de l'invention et de la sobriété, elle dose avec raffinement le respect et le plaisir, elle est grande sans excès, elle s'impose sans vanité. Cependant, lisons le point de vue de l'idéal monastique. "En édifiant pour y abriter sa dépouille une gigantesque et somptueuse basilique à Assise, qui fut ensuite décorée par les meilleurs peintres du temps, un de ses principaux successeurs à la tête de l'ordre des Frères mineurs, le frère Élie, commit une véritable trahison vis-à-vis de l'idéal de pauvreté qui avait guidé celui qu'il prétendait honorer."[5] Le saint, perturbé par le superflu, repoussera les tentations de l'art. Une église sobre eût été suffisante, un lieu de pèlerinage stimulant les vocations. La diatribe de Bernard de Clervaux contre l'immixtion des bizarreries de la sculpture romane dans les refuges réservés à la prière est une autre manifestation du scandale que représente la licence de l'imagination pour les serviteurs de Dieu. L'amateur d'art sera heureux d'éprouver l'austérité de l'architecture cistercienne, il inclura cette expérience parmi d'autres, mais l'ascète ne se permettra pas un tel éclectisme. Au temps de Van Eyck, nombreux sont les dévots qui désapprouvent la peinture sacrée, et pourtant la perfection de la peinture à cette époque ne semble-t-elle pas garantir la pureté des intentions ? La tonalité sombre de la peinture d'Hugo Van der Goes, la mélancolie qui abrège sa carrière, expriment au cœur de la création le conflit entre une aptitude et le besoin d'humilité. S'accablant de reproches et cherchant un compromis, l'artiste déjà célèbre abandonne sa charge de doyen de la gilde des peintres de Gand pour s'engager à l'abbaye du Rouge-Cloître près de Bruxelles au titre de frère convers. Il continue d'y pratiquer son art, est invité à la table des chanoines, reçoit des collectionneurs, s'entretient avec le futur empereur Maximilien en 1478. On peut penser que ce statut privilégié le perturbe : les honneurs que l'on continue à lui manifester deviennent insupportables, des accès de mélancolie se déclenchent au retour d'un voyage à Cologne où il avait été sollicité pour des expertises. Il se livre à des mutilations, seuls les chants le délivrent de ses tourments et lui assurent des moments de sérénité. Son œuvre porte le témoignage d'une propension à l'angoisse. "Ne voit-on pas dans plusieurs de ses tableaux des personnages au regard perdu, aux grands yeux hagards, des hommes simples aux attitudes gauches, ayant subi un choc? Une des caractéristiques fondamentale de son œuvre n'est-elle pas cet aspect sérieux, méditatif et très souvent mélancolique que manifestent les participants principaux mis en scène ?"[6] Affirmer la différence est un moyen d'affirmer l'identité. Très souvent la réaction est excessive, soit parce qu'elle est difficile à contrôler, soit parce que la radicalité présente des facilités de conception ou d'exécution. La différence doit être consistante pour que l'identité ait un sens. Aujourd'hui l'inconsistance de la différence est frappante. Aussi la question vaut la peine d'être posée : les ruptures culturelles et sociales de notre époque justifient-elles la dégradation de l’expression ? Des tempéraments artistiques ne sont-ils pas détournés de leur vocation par des pressions extérieures ? La mode ne livre-t-elle pas la peinture et la sculpture à des personnes qui ne lui sont pas dévouées ? [1] G. Ostrogorski, Histoire de l'état byzantin, pp. 191, 202, 213, 246. Payot. [2] C. Delvoye, L'art byzantin, pp. 102 et 163. Arthaud. [3] A. A. Vassiliev, Histoire de l'empire byzantin, vol. I, p. 379. Ed. A. Picard. [4] J. Wirth, L'image médiévale, pp. 132-138, 155-162. Méridiens Klincksieck. [5] A. Vauchez, La spiritualité du Moyen Âge occidental, p. 139. Seuil, Point. [6] J. Lavalleye, Hugo Van der Goes, p. 15-17. La Renaissance du Livre. [7] J. Wirth, L'image médiévale, p. 320. Méridiens Klincksieck. [8] André Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne, pp. 26-32. Collection Idées et Recherches, Flammarion. [9] Oleg Grabar, La formation de l'art islamique, pp. 106-109 et 114-177. Collection Idées et Recherches, Flammarion. [10] Basil Gray, La peinture persane, p. 15. Skira. [11] Aly Mazaheri, La vie quotidienne des Musulmans au Moyen Age du Xe au XIIIe siècle, pp. 12, 13, 154. Hachette. [12] A. Papadopoulo, L'Islam et l'art musulman, pp. 50 et 55. Mazenod.
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